Eurosatory : le succès du gouvernement français dans les ventes d’armes ne doit pas l’exonérer face à ses engagements au regard du Traité sur le Commerce des Armes (TCA) des Nations Unies

Depuis le 24 décembre 2014, la France est engagée juridiquement dans l’application du traité sur le commerce des armes (TCA) comme 81 autres États parties. Ce succès de voir le TCA entré en vigueur, couronnait une longue campagne des ONG internationales pour arrêter les livraisons d’armes en direction de gouvernements ou de groupes armés non étatiques qui les utilisaient à de graves violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire. Le préambule du TCA affirme «  que le développement, la paix et la sécurité, ainsi que les droits de l’homme sont interdépendants et se renforcent mutuellement ».

De la République Démocratique du Congo – où ce conflit qui n’en finit pas, a fait plus de 5 millions de morts entre août 1998 et avril 2005 – à l’Irak, en passant par Israël, l’Afghanistan, les Émirats Arabes Unis, le Koweït, la Libye, le Maroc, le Qatar, la Somalie, la Syrie, la Turquie… la liste est longue des pays engagés dans un conflit.

De plus, nombreux sont les gouvernements de pays où la répression interne a pris des dimensions d’une telle gravité qu’elle s’apparente parfois à des crimes contre l’humanité, dont l’usage de la torture, comme notamment à Bahreïn, au Kazakhstan et en Égypte.

Tous ces pays font pourtant partie de la longue liste des pays destinataires des ventes d’armes françaises, cités dans le rapport du gouvernement au parlement rendu public en mai 2016, et dont Eurosatory est une des vitrines les plus significatives. Même si les objectifs du TCA ne sont pas l’interdiction mais  « d’instituer les normes communes les plus strictes possibles aux fins de règlementer ou d’améliorer la règlementation du commerce international d’armes classiques » ainsi que de « prévenir et éliminer le commerce illicite d’armes classiques et empêcher le détournement de ces armes », ils engagent les États parties à la protection des droits de l’Homme.

C’est l’article 7 qui précise que si l’État partie estime qu’il existe un risque prépondérant que les armes puissent servir à commettre une violation grave  du droit international humanitaire ou à en faciliter la commission et/ou une violation grave du droit international des droits de l’homme et/ou à en faciliter la commission, Il n’autorise pas l’exportation. Or les informations fournies par les ONG et les rapports des Nations Unies sur la situation dans les pays cités auraient dû alerter le gouvernement français quant aux risques prépondérants de l’usage des armes françaises par ces Etats.

Si l’on prend l’exemple de la coalition de pays, engagée dans une guerre au Yémen sous la direction de l’Arabie Saoudite, les violences sont telles que le Parlement européen a réclamé le 25 février, dans la résolution 2016/2515(RSP), la suspension immédiate des transferts d’armes et du soutien militaire à l’Arabie Saoudite et à ses partenaires au sein de la coalition.

Le risque est d’autant plus important que  les ventes globales d’armes françaises dépassent les 16 milliards d’euro pour 2015 (plus de 6 milliards d’euro d’armes livrées pour la même année) et qu’il n’y a pas de description précise des armes livrées. Il est donc impossible pour les Parlementaires et les représentants de la société civile comme ASER, de savoir si  ces armes sont utilisées ou facilitent de graves violations des droits de l’Homme, du droit international humanitaire, des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité.

L’absence de débat parlementaire ne fait qu’accentuer ce malaise. Si l’on se tient à l’annexe 5 du rapport au Parlement 2016 sur les exportations d’armement de la France, qui concerne les licences accordées pour 2015, les commandes sont classifiées en 22 catégories de la « liste militaire de l’Union européenne ». Or ces catégories sont trop larges pour identifier le type d’armes, et les licences délivrées ne correspondent pas forcément aux armes livrées dans le futur.

Quant aux armes livrées par la France aux groupes armés non étatiques opposés au régime de Bachar al Assad, il est difficile de savoir où elles apparaissent. Ce manque de transparence est d’autant plus dommageable que nous savons aujourd’hui, comme dans le cas de la Libye, qu’elles ont sans doute été récupérées par ceux qui se font appeler Daesh.

Pour toutes ces raisons, Eurosatory  n’est pas qu’une  foire aux armements. Certains des bénéfices engrangés par les marchands d’armes causent déjà la ruine et la misère de millions de déplacés et de réfugiés qui fuient la violence de ces armes.

Cependant la tenue d’Eurosatory pourrait être l’occasion, pour le gouvernement français, d’ouvrir un débat sur le commerce des armes et de mettre en place une véritable transparence sur ces ventes.

La France deviendrait alors le premier exportateur d’armes majeur de la planète qui mettrait en application ses engagements dans le TCA.

Jean Claude Alt,  membre d’Action Sécurité Ethique Républicaines

Hugues Leenhardt, membre d’Action Sécurité Ethique Républicaines

Benoît Muracciole Président d’ASER

Pour d’autres articles sur ces questions, consulter le blog : Armerdesarmer

L’association ASER (Action Sécurité Éthique Républicaines) représentante du RAIAL pour l’Europe. ASER lutte pour le respect des droits de l’Homme dans les transferts d’armes et dans l’action des services de police et de sécurité. ASER est accréditée aux Nations Unies.