Les transferts d’armes en Egypte à l’épreuve du traité sur le commerce des armes (TCA) Partie II

Il y a presque 3 années un certain nombre d’ONG, dont Action Sécurité Ethique Républicaines (ASER), avait alerté les gouvernements européens, dont le gouvernement français, sur la situation de graves violations des droits de l’Homme en Egypte[1]. Il n’y avait là aucunement de notre part une quelconque volonté d’ostracisme à l’égard de ce pays, au contraire nous reprenions à notre compte un des arguments des délégués égyptiens opposés au TCA lors des négociations aux Nations Unies : « l’application des droits de l’Homme est indivisible et non discriminatoire ».

Ainsi nous affirmons une fois encore ici que le respect des droits de l’Homme des citoyens égyptiens – tous les citoyens qu’ils soient civils, militaires, qu’ils appartiennent aux services de police ou de sécurité – est inaliénable. Que l’article premier de la Convention contre la torture[2] et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ratifiée par tous les Etats membres de l’Union européenne et par l’Egypte[3] s’applique à tous les citoyens et résidents de ces nations de façon indivisible. Que les Etats doivent respecter avec efficacité et rigueur l’article 2 de la Convention qui précise :

« 1. Tout Etat partie prend des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction.

  1. Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture.
  2. L’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique ne peut être invoqué pour justifier la torture. »

Ces principes fondamentaux étant ici réaffirmés, de nombreuses ONG, dont ASER, sont extrêmement préoccupées par la situation des droits de l’Homme en Egypte notamment concernant la continuation de l’usage de la torture et des disparations forcées depuis 2013. Les rapports d’Human Right Watch[4] et d’Amnesty International[5] sont de ce point de vue édifiants. Le premier répertorie plus de 7 420 personnes jugées dans des procès où les droits fondamentaux des accusés sont systématiquement niés, ou les aveux obtenus sous la torture sont entendus à charge par la cour. Le rapport d’Amnesty International, lui, dénonce le nombre croissant d’opposants emprisonnés, plus de 34 000, torturés et / ou disparus. Des femmes des hommes, mais aussi des enfants de 14 ans sont ainsi les victimes de cette politique contraire aux droits fondamentaux, et il ne s’agit là malheureusement que d’un chiffre largement inférieur à la réalité de ce que subit la population égyptienne.

Selon ce dernier rapport, la répression a pris des proportions inquiétantes depuis la nomination du « Major-General » Magdy Abd el-Ghaffar comme ministre de l’Intérieur en mars 2015 par le Président Abdel Fattah al Sissi.

Le mode opératoire semble presque toujours le même. Des membres de la National Security Agency (NSA), accompagnés par des membres des forces de sécurité débarquent chez les victimes généralement la nuit. Sans mandats ni explications, celles ci sont embarquées dans des véhicules blindés et disparaissent quelques jours dans le meilleur des cas. Le ministère public, qui, selon la loi égyptienne, est garant du respect des droits des accusés, apparaît aux yeux des familles, complice des autorités sous la responsabilité du ministre de l’Intérieur. Dans l’immense majorité des cas, les familles sont tenues à l’écart et ne peuvent connaître ce que sont devenus leurs proches.

Pour la Cour pénale internationale dont tous les Etats européens sont parties, la torture et les disparitions forcées sont des crimes contre l’humanité[6]. Ces mêmes Etats ne peuvent plus ignorer aujourd’hui la constance dans la perpétration de ces crimes en Egypte pourtant…

Pourtant après une étude attentive du rapport COARM[7] pour les années 2014 et 2015, beaucoup de pays comme l’Allemagne, la Bulgarie, l’Espagne, la France, la Grande Bretagne[8], la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie… ne semblent pas en avoir tenu compte dans leurs décisions d’autoriser des transferts d’armes classiques en direction du gouvernement égyptien[9].

Pourtant dans le critère 2 de la Position commune de l’UE[10] il est spécifié notamment que les Etats membres : 

« a) refusent l’autorisation d‘exportation s’il existe un risque manifeste que la technologie ou les équipements militaires dont l’exportation est envisagée, servent à la répression interne;

Le traité sur le commerce des armes des Nations Unies va plus loin puisqu’il précise dans son article 7 que si l’État Partie exportateur estime qu’il existe un risque prépondérant que l’exportation d’armes peut servir à :

«  ii)     Commettre une violation grave du droit international des droits de l’homme ou à en   faciliter la commission; », il n’autorise pas l’exportation.

Or dans la nomenclature du rapport COARM[11] qui concerne les Etats membres de l’UE, les exportations autorisées font état, notamment, d’armes légères et de petits calibres ainsi qu’aux calibres supérieur à 100mm, de munitions… et également de « véhicules terrestres et leurs composants, spécialement conçus ou modifiés pour l’usage militaire ». Or tous ces matériels sont utilisables, et/ou susceptibles de faciliter une violation grave du droit international des droits de l’Homme. Les véhicules Sherpa exportés par la France, par exemple, ont été utilisés dans des manifestations, quelles assurances a le gouvernement français qu’ils n’aient pas été utilisés dans la perpétration d’un crime contre l’humanité par le transport de personnes torturées ou disparues ?

Contrairement à la compréhension de la mise en œuvre du TCA par un conseiller du ministre de la Défense, cette exportation par la France, Etat partie du traité, engage sa responsabilité. Elle l’engage aussi devant la charte des Nations Unies, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Dans la lutte contre les actes de terrorisme dans laquelle sont engagés tous les Etats membres de l’UE, la dimension politique est essentielle. L’exemplarité des Etats dans le respect effectif des droits de l’Homme – dont les droits économiques sociaux et culturels – devrait être un des piliers de cette lutte à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE[12]. Le préambule du TCA – qui reconnaît que la paix, la sécurité et les droits de l’Homme « sont interdépendants et se renforcent mutuellement » – l’entrevoie.

Il reste au gouvernement français de véritablement s’engager dans ce sens. Il se doit de suspendre toute exportation susceptible d’être utilisée à une grave violation des droits de l‘Homme vers ce pays. Il s’agit de répondre aux enjeux du moment avec les arguments du XXI° siècle.

Pour d’autres articles sur ces questions, consulter le blog : Armerdesarmer

Jean-Claude Alt, membre d’Action Sécurité Ethique Républicaines

Hugues Leenhardt, membre d’Action Sécurité Ethique Républicaines

Benoît Muracciole, Président ASER auteur de « Quelles frontières pour les armes » édition A Pedone

[1] Voir Partie I : https://armerdesarmer.wordpress.com/2013/10/17/les-transferts-darmes-en-direction-de-legypte-a-lepreuve-du-traite-sur-le-commerce-des-armes-tca/

[2] 1. Aux fins de la présente Convention, le terme « torture » désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles.

  1. Cet article est sans préjudice de tout instrument international ou de toute loi nationale qui contient ou peut contenir des dispositions de portée plus large. http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CAT.aspx

[3] https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=IND&mtdsg_no=IV-9&chapter=4&lang=fr&clang=_fr

[4] https://www.hrw.org/news/2016/04/13/egypt-7400-civilians-tried-military-courts

[5] Egypt: ‘Officially you do not exist’ – Disappeared and tortured in the name of counter-terrorism juillet 2016.

[6] Statut de Rome : Article 7 Crimes contre l’humanité

  1.   Aux  fins  du  présent  Statut,  on  entend  par  crime  contre  l’humanité  l’un  quelconque  des  actes  ci-après   lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population  civile et en connaissance de cette attaque :
  2. a)   Meurtre ;
  3. b)   Extermination ;
  4. c)   Réduction en esclavage ;
  5. d)   Déportation ou transfert forcé de population ;
  6. e)  Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions  fondamentales du droit international ;
  7. f)   Torture ; 
  8. g)  Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme  de violence sexuelle de gravité comparable ;
  9. h)   Persécution  de  tout  groupe  ou  de  toute  collectivité  identifiable  pour  des  motifs  d’ordre  politique,   racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d’autres  critères  universellement  reconnus  comme  inadmissibles  en  droit  international,  en  corrélation  avec   tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ;
  10. i)   Disparitions forcées de personnes ;

https://www.icc-cpi.int/resource-library/Documents/RS-Fra.pdf

[7] Groupe « Exportations d’armes conventionnelles : http://www.consilium.europa.eu/fr/council-eu/preparatory-bodies/working-party-conventional-arms-exports/

[8] Encore membre de l’UE et tenu par les critères de la Position commune.

[9] https://armerdesarmer.files.wordpress.com/2016/07/rapport-coarm-annecc81e-2015.pdf

[10] https://armerdesarmer.files.wordpress.com/2014/07/position-commune-ue-20081.pdf

[11] Elle comporte 22 classifications, appelées ML, ce qui est encore trop peu pour connaître la description exacte du matériel qui sera plus tard exporté.

[12] Notamment pour affaiblir le recrutement des groupes fondamentalistes violents.