Armes françaises et crimes de guerre au Yémen, le gouvernement et le chef de l’Etat nous mentent.

Le mois de mai dernier les cargos saoudiens « de la honte », le Bahri Yanbu et le Bahri Tabuk, sont donc repartis à priori sans armes françaises dans leurs cales. A priori car dans cette culture presque pathologique du secret, et malgré la mobilisation des ONG, des Parlementaires et des syndicats, nous n’avons pas eu l’autorisation d’en vérifier l’absence.

Il n’en demeure pas moins que le transit du Bahri Tabuk a constitué une violation du traité sur le commerce des armes des Nations unies (TCA). Les déclarations du ministre de l’Europe et des Affaires Etrangères Jean Yves le Drian selon lesquelles la France respecte le TCA sont infondées, car dans la définition du champ d’application du traité ainsi que du registre des Nations Unies, la définition des transferts y inclue le transit.Depuis la note de la direction des renseignements militaire (DRM) révélée par Disclose, nous avons la preuve que les assurances apportées par les membres du gouvernement et le Président de la République Emmanuel Macron ne sont que « fake news ». Le Premier ministre Edouard Philippe est dans la constitution de la V° République responsable des autorisations d’exportation de matériel de guerre de la France. Dans la praxis, le chef de l’Etat, comme un article du Point l’avait montré en 2016, intervient également pour renverser une décision lorsque la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) fait son travail et refuse, sur la base des engagements internationaux de la France, certaines exportations. 

Quels sont les engagements internationaux que le gouvernement français viole en transférant des armes classiques aux pays engagés dans la guerre au Yémen ? 

  • La Charte des Nations Unies de 1945, notamment les articles 55 et 56. La France est un membre historique de l’ONU, membre permanent du Conseil de Sécurité, ce qui l’engage non seulement à respecter les droits de l’Homme, mais aussi à les favoriser  et « à agir  en vue d’atteindre les buts énoncés à l’Article 55 ».
  • Les conventions de Genève de 1949 et 1977. La France est donc tenue de respecter et faire respecter le droit international humanitaire. 
  • Le traité sur le commerce des armes de 2013. Ratifié par la France, il entré en vigueur le 24 décembre 2014[1]. L’article 6 paragraphe 2 il est précisé que: « Aucun État Partie ne doit autoriser le transfert d’armes classiques… qui violerait ses obligations internationales… » .

Quant au paragraphe 3 il fixe qu’aucun 

«  État Partie ne doit autoriser le transfert d’armes classiques… s’il a connaissance, au moment où l’autorisation est demandée, que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des Conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre tels que définis par des accords internationaux auxquels il est partie… ».

Il s’agit bien ici de potentialité d’usage des armes – la disponibilité de celles-ci aux mains des responsables de ces crimes est un facteur incitant –  et non pas de risques d’usages. Les risques d’usages (l’article 7) sont évalués lorsque la situation dans le pays importateur est nouvelle. L’article 7 du TCA ne s’applique par ailleurs que « Si l’exportation n’est pas interdite par l’article 6 »[2].

C’est par ailleurs ce que montre l’analyse juridique des juristes de droit international Eric David, Daniel Turp et Brian Wood « Avis sur la légalité de ventes d’armes à l’Arabie saoudite et aux pays membres de la coalition participant à l’opération « Restaurer l’espoir » au Yémen » que Action Sécurité Ethique Républicaines a ajouté à son mémoire en réplique au tribunal administratif de Paris.

Lorsque le gouvernement affirme donc qu’il respecte ses engagements envers le TCA, il ment à la population civile yéménite, aux citoyens français et à la communauté internationale car il a bien connaissance de ces crimes de guerre, voire crimes contre l’humanité dont sont aujourd’hui encore victimes des millions de yéménites selon le HCR. Il en a eu connaissance avec les nombreux rapports et les communiqués des Nations Unies, du 31 mars 2015, du 22 janvier et 4 août 2016, 31 janvier, 24 août, 19 décembre et 28 décembre 2017 et du rapport du Groupe d’éminents experts régionaux et internationaux sur le Yémen du 17 août 2018. 

Le dernier rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement de 2019, « Assessing the impact of war », donne une évaluation de 230 000 morts dont 140 000 enfants fin 2019 si le conflit continue à cette intensité. Les garanties saoudiennes rapportées par Emmanuel Macron, le 16 mai 2019 ont quant à elles encore fait 7 morts, dont 3 enfants, et plus de 47 blessés dans un quartier civil de Sanaa dans le centre ouest du Yémen.

Partout en Europe des gouvernements ont compris l’effroyable de cette guerre et ont suspendu leurs transferts d’armes. Le Congrès des Etats Unis a voté pour la première fois depuis 1943 dans ce domaine, un arrêt du soutien militaire aux saoudiens et émiratis. Mais le gouvernement français persiste dans son aveuglement.


Le mardi 11 juin 2019 Action Sécurité Ethique Républicaines a défendu les engagements internationaux de la France devant le tribunal administratif de Paris, aidé en cela par l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture. Comme au Canada, en Grande Bretagne, en Italie et au Pays Bas, se sont les ONG qui tentent de faire respecter la déclaration universelle des droits de l’Homme :

« Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ». 


[1]L’intervention de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis a commencé en mars 2015.

[2]Lors de la dernière semaine des négociations nous avionsobtenu avec les ONG du Réseau d’Action sur les Armes légères cet article dans les derniers jours des négociations sur le TCA.Nous souhaitions que soient pris en compte les situations de violences extrêmes où, par expérience, nous savions qu’il était impossible de s’assurer que par leurs seules présences ces armes ou ces biens  ne serviraient pas à des violations graves et systématiques du droit international des droits de l’Homme. Nous n’avions pas obtenu tout ce que nous demandions mais il y a l’article 6.

Jean Claude Alt, Expert droits de l’Homme, Administrateur ASER

Benoît Muracciole, Expert droits de l’Homme & force publique, Président ASER, auteur de « Quelles frontières pour les armes » édition A Pedone

Pour d’autres articles sur ces questions, consulter le blog: Armer Désarmer

ASER est membre du Réseau d’Action International sur les Armes Légères (RAIAL).

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